CHAPITRE IX

On parle à côté de moi… Je reconnais la voix de Nauvéa… Je l’entends, mais pas normalement… On dirait que je l’écoute à travers un mur ou un écran… Pourtant, dès que j’ouvre les yeux, je l’aperçois marchant de long en large devant le fauteuil au fond duquel je suis assis, le torse toujours nu.

Il parle en galactique devant l’écran d’un visiophone, mais je ne peux voir à qui sans bouger. Et je ne tiens pas à bouger.

— Dès qu’on aura changé ses « mémoires » et le sens de son conditionnement, nous le renverrons à Lorgra-ville 1, puis au spatiodrome où il prendra en charge une flottille de nos astronefs…, ce sera, disons, une prise de guerre…

Une voix métallique lui répond :

— Et si on ne le croit pas ?

— On le fera passer sous une machine de vérité…, ou plus simplement, on vérifiera son cylindre de conditionnement… Nous ne l’aurons modifié qu’à partir du moment où il a quitté le palais Déran en compagnie de Galdar… De toute façon, comme la Garde Spatiale ignore la nature de nos pouvoirs, tout se passera bien.

— Tarnat racontera qu’il a volé une partie de notre flotte après notre anéantissement ?

— Exactement, et ce sont naturellement les plus hauts dignitaires de la Garde qui voudront examiner les premiers les nouveaux ordinateurs…

— Le plan est, en effet, judicieux.

— Et dès que nous aurons la Garde Spatiale en notre pouvoir, dans la personne de son grand état-major, l’humanité sera à notre merci…

Je n’ai pas dû rester évanoui très longtemps… Peut-être seulement quelques secondes… Je me demande pourquoi j’en suis aussi sûr, mais ce qui m’étonne le plus, c’est d’avoir encore conscience de mon état alors que je sais ce que je suis…

Evidemment, je ne suis plus en mesure d’agir, mais je pense…, mais je pense par mes propres moyens… Tous les androïdes doivent être dans ce cas…, mais, bien entendu, personne ne peut le savoir car il est rarissime qu’on en trouve sans leur cylindre de conditionnement.

Si je pouvais remuer, me mouvoir, j’ai l’impression que je pourrais avoir une vie propre… Et, en un sens, c’est presque normal, puisque je suis fait de chair comme les êtres humains… Si tout est artificiel chez moi, je n’en possède pas moins un corps et tous les organes des hommes… Des organes disparates, mais véritables.

Fatalement, cela devait conduire finalement à une conscience… Sans doute assez fruste, mais qui existe. Je n’en reviens pas…, et je me demande si c’est une conscience humaine.

Des tas de choses s’expliquent en moi…, s’expliquent ou m’apparaissent… Mon mépris du danger… Mon habileté dans mes combats dans l’espace… Cette habileté qui a fait de moi une sorte de roi de la piraterie, car tous les forbans de l’espace m’obéissaient

Tiens, Nauvéa quitte le laboratoire… Durant quelques instants, je ne lui ai plus prêté attention… Si, au moins, je pouvais bouger… Malheureusement, je ne suis qu’une masse inerte affalée dans un fauteuil…, une masse inerte qui pense.

Une ombre passe devant moi… Barka… Il m’observe, puis s’agenouille… Derrière Barka, je reconnais Galdar…, qui doit être terriblement déçue et outragée d’avoir aimé un vulgaire androïde.

Barka dit :

— Physiquement, il est intact… Tout fonctionne normalement dans son corps…, sauf sa volonté… Voyez, il ouvre les yeux et il nous voit…, enfin, je me le demande… On lui a enlevé son cylindre de conditionnement.

— Vous saviez que ce n’était pas un homme…, enfin, pas un homme véritable ?

Non…, et je suis persuadé qu’il l’ignorait lui-même… Parfois, il se comportait étrangement, mais ses initiatives les plus saugrenues aboutissaient généralement à des triomphes retentissants… Une seule chose aurait pu m’ouvrir les yeux…

— Laquelle ?

— Il ne supportait pas le slana… Un seul verre suffisait à lui faire perdre la tête…, et en partie la mémoire… Tous les androïdes sont ainsi.

— Que pensez-vous que les Maîtres vont lui faire ?

— Lui donner un nouveau conditionnement.

— Et vous lui obéirez toujours ?

Barka hésite.

— Ça dépend, finit-il par murmurer… Je ne pourrai peut-être pas faire autrement… Après tout, moi aussi, je ne suis sans doute qu’un androïde… On ne m’a pas encore fait passer sous la lumière éclatante.

Pourquoi sont-ils libres et pourquoi Galdar paraît-elle délivrée de l’influence mentale des Maîtres ?… Sans doute parce que, ici, elle est définitivement à leur merci et qu’elle ne pourra pas s’évader.

De toute façon, il existe une terrible lacune dans l’organisation des hommes de Dudwal… Mais Barka et Galdar s’éloignent vivement… Je me demande pourquoi… En vain, d’abord, puis je revois Trémali suivi de Nauvéa et de deux hommes en blouse blanche.

Avec un androïde, les hommes de Dudwal ne se soucient pas d’employer d’anesthésiques… J’éprouve brusquement une terrible douleur sous l’omoplate gauche… Durant quelques instants, j’ai l’impression qu’on me charcute au fer rouge…

La douleur devient de plus en plus précise et féroce…, puis je pousse un gémissement et Nauvéa s’exclame :

— Arrangez cela, Dronne… Faites-lui une piqûre.

— A un androïde ?

— Pourquoi pas.

Trémali ricane.

— Vous venez de lui remettre son cylindre de conditionnement et il est extraordinairement perfectionné… Nous sommes loin d’être arrivés à un résultat équivalent avec les Dravons.

Ainsi, les Dravons sont des androïdes aussi… Je n’y avais pas pensé et personne avant moi… Le visage de Nauvéa a repris toute son amabilité, mais je lis quelque chose de dur dans son expression.

Dronne a dû me faire sa piqûre car je ne sens plus la douleur… Je me redresse… Je fais quelques mouvements, puis je demande :

— Qu’est-ce que j’ai eu ?… J’ai l’impression de m’être évanoui.

— Durant près d’une heure.

Je tourne la tête, Barka et Galdar ne sont plus dans le laboratoire. On a dû les emmener. Nauvéa m’explique :

— Vous avez été blessé accidentellement. La maladresse d’un de mes assistants. Il a renversé de l’acide dans votre dos…, mais la plaie est déjà en train de se cicatriser.

— L’imbécile !

Je parle machinalement, et mes véritables pensées restent ailleurs… Dans un autre monde…, car j’ai un double réseau de pensées…, et elles ne se mélangent pas… Elles ont chacune leur vie propre… Je raisonne tantôt avec le premier réseau…, tantôt avec le second.

Nauvéa reprend :

— Au moment de l’accident, nous parlions d’un éventuel contrôle mental… L’acceptez-vous ?

— Il ne me gêne pas.

— Alors, il ne me reste qu’à vous donner mes ordres… Nous avons soigneusement étudié votre premier conditionnement… C’est la Garde Spatiale qui vous a envoyé sur Lorgra… A la demande de Déran qui, à ce moment-là, n’était pas encore en notre pouvoir… Heureusement, Déran ne s’est jamais douté de l’ampleur du danger… Vous êtes venu ici en observateur…, muni d’une très large autonomie… On vous a doté de moyens considérables, mais au petit bonheur, puisqu’on ignorait ce que vous alliez trouver… Le commandant de la Garde Spatiale, en vous donnant l’apparence physique d’un pirate célèbre, comptait nous tromper plus facilement… Si vous n’aviez pas été démasqué, votre conditionnement vous aurait assez rapidement ordonné de sacrifier votre vie pour nous détruire tous.

Contrairement à ce qu’il pense et malgré mon nouveau conditionnement, c’est toujours ce que j’ai l’intention de faire. Nauvéa se lève.

— Venez, Tarnat… Je vais vous présenter a notre maître à tous… C’est lui qui vous prendra sous son contrôle… Après l’avoir vu, vous deviendrez en quelque sorte son porte-parole, et ce sont ses pensées qu’on lira dans votre esprit… Les pensées qu’il voudra bien émettre…

Il esquisse un sourire.

— Vous serez sans doute moins dérouté qu’un Terrien ou même qu’un Lorgranien en l’apercevant… En un sens, vous êtes très proches l’un de l’autre…, et c’est peut-être votre apparence qu’il empruntera un jour… Vous ne différez que par le cerveau… Au fond, notre maître est un androïde également… Comme vous…, à l’exception du cerveau.

Il fait un signe et Trémali nous précède dans une étroite coursive au bout de laquelle nous gravissons une échelle de fer.

— Je ne vous explique rien… Notre maître se mettra en communion avec vous et vous saurez tout ce qui est indispensable à l’accomplissement de votre tâche.

Au-dessus de l’échelle, une salle immense… Pour l’équiper, on a dû abattre toutes les parois d’un niveau… Une pièce nue au milieu de laquelle j’aperçois un gigantesque baquet surmonté… d’un Cerveau…

Un cerveau énorme… Trente ou quarante fois plus gros que celui d’un homme normal… Un Cerveau dans un bocal fabuleux, relié au baquet par deux gros tuyaux.

Un Cerveau baignant dans un liquide vaguement jaunâtre, mais nettement reconnaissable… L’ensemble, baquet-bocal se trouvant protégé par de solides armatures.

J’imagine facilement qu’un tremblement de terre ou la chute d’une montagne ne pourrait rien contre cet assemblage extraordinaire…

Pas le temps de me poser d’autres questions car le Cerveau me prend immédiatement sous son contrôle…, et c’est bizarre… J’éprouve une double sensation… D’une part, je suis complètement à la merci de l’influx mental qui se propage jusqu’à moi et en même temps, je plonge au plus profond de son subconscient.

C’est sans doute ce que Nauvéa appelait se trouver en communion… Je le connais comme il me connaît… Je l’« entends » même dire à Nauvéa et à Trémali d’un air méprisant qu’il n’aurait jamais imaginé qu’on ait envoyé un simple androïde pour le combattre.

Il s’agit là d’un échange mental qui ne me concerne pas, mais que j’enregistre… Comme j’enregistre une quantité d’idées confuses, un peu à la manière d’une machine…

C’est ce que je suis, après tout.

Fascinant, ce Cerveau… Il a… Il donne l’impression d’avoir toujours existé… En tout cas, il régnait déjà sur Dudwal lorsqu’un cataclysme cosmique a obligé toute la population de cette planète à fuir dans l’espace…

Il régnait déjà sans avoir atteint sa plénitude actuelle… Ce n’est que sur Lorgra qu’il a achevé sa mutation… Qu’il est devenu en quelque sorte adulte…, sur le plan infiniment plus élevé qui est le sien.

Et ce n’est pas un vrai cerveau !

Si je suis un androïde, lui est un cerveau artificiel… Comme ceux de tous les Astronefs du Pouvoir… C’est pour cela que leur influence psychique ne peut pas durer très longtemps, ni s’étendre au-delà d’un certain rayon…

Cela viendra progressivement… Seul, le Cerveau avec lequel je suis en communion pourra continuer à me contrôler même lorsque je serai retourné sur Terre O.

A Lorgra-ville 1, les hommes qui sont terrorisés ont peur de ressentir d’effroyables douleurs assez semblables à des décharges électriques… Ces douleurs les prennent chaque fois qu’ils envisagent de dire ce qu’ils savent des Maîtres…, car dans la cabine des tests, ils se sont trouvés, comme moi maintenant, en communion totale avec l’ordinateur… D’où la nécessité de les conditionner pour qu’ils ne puissent pas parler.

Avec moi, on n’a pas eu besoin de recourir à cette technique… On a simplement modifié les motivations de base de mon cylindre de mise en route…, et, de toute façon, je ne présente aucun danger puisque, désormais, j’obéirai comme un esclave à mon maître.

Le cylindre que j’ai sous l’omoplate gauche est une sorte de volant avec lequel la Garde Spatiale a tenté de me diriger, mais que le Cerveau a mis désormais à son service.

En ce moment, au Grand Etat-Major de la Garde, on a enregistré un court-circuit dans mon antenne émettrice, ce qui a rassuré mes chefs… L’humanité a déjà perdu la partie…

On va me ramener au spatiodrome… Là, je reprendrai le commandement de l’Orion IV et je foncerai sur Lorgra-ville 1 que je détruirai de fond en comble.

Lorsque ce sera fait, j’enverrai mon rapport à la Garde Spatiale par le canal prévu en cas d’avarie à mon système émetteur… Dans ce rapport, j’expliquerai que la menace qui planait sur l’humanité n’existe plus et j’annoncerai que j’ai découvert de formidables ordinateurs… Mille fois plus perfectionnés que les meilleurs dont disposent la Garde et les autorités de l’Empire.

On voudra les voir, les essayer, les utiliser… Les chefs de la Garde, les savants, l’Empereur lui-même et ce sera fini… Le Cerveau a prévu un Astronef du Pouvoir pour chaque situation, clef de la hiérarchie de l’Empire de Terre O… Je n’ai pas à juger et je ne juge pas… Je ne suis qu’une machine qui a tout simplement changé de maître… Que m’importe, à moi, Terre O ou Dudwal… Que l’un triomphe ou l’autre ?

Moi, j’obéirai aux ordres. L’univers tout entier appartiendra aux hommes de Dudwal… Ils se répandront partout et deviendront les chefs… C’est normal car la civilisation de Dudwal est de très loin en avance sur celles de toutes les galaxies civilisées.

Tiens, on m’a laissé seul, face à face avec le Cerveau… Et si j’essayais mes aiguilles de feu-intense ?… Non… Ici, elles ne parviendraient pas à percer le blindage…, et je ne vois aucune source d’énergie apparente…

Etrange pensée qui vient de me traverser l’esprit… Bien étrange puisque mon nouveau conditionnement m’interdit de faire le moindre mal au Cerveau devenu sacré pour moi.

Je m’approche du baquet… Il est rempli d’une chair rouge et vivante à laquelle sont reliées les artères qui irriguent les monumentales circonvolutions cérébrales…

Comme la communion n’a pas cessé, je comprends ce que cela signifie…, la raison de tout cela… Sur Dudwal, un savant appelé Laless a un jour créé un cerveau artificiel vivant… Le premier de toute l’histoire de l’humanité… Il y a de cela des millénaires… C’est trop vieux, trop lointain pour qu’un esprit puisse imaginer une aussi longue épopée.

Ce premier cerveau n’est pas celui que j’ai sous les yeux… Il « vivait » au sens physique du mot, mais il n’était pas encore doué d’intelligence…, ni de la faculté de raisonner, ni de celle de comprendre.

Laless a fait des milliers d’expériences et il a ouvert la voie à d’autres chercheurs… Peu à peu, les modèles se sont perfectionnés jusqu’à ce que, un jour, celui que j’ai devant moi soit créé…

Sans avoir rien d’humain, il possède toutes les possibilités humaines… Toutes… Plus une qui est celle de prévoir à long terme…, à très long terme…, des termes qui se comptent en centaine de milliers d’années.

De plus, il s’est doté d’un pouvoir psychique…, ça lui est venu naturellement… Un jour, il s’est aperçu que sa pensée commandait à ceux qui l’avaient conçu et fabriqué… Une revanche, en quelque sorte.

Une revanche de la machine, de l’instrument sur son créateur… Une revanche de l’artificiel sur le naturel… Deux conceptions de la vie qui sont naturellement contraires… Qui doivent s’affronter et se combattre jusqu’à ce que l’une ait complètement détruit l’autre.

Il n’y aura jamais de place pour deux intelligences d’essences contraires dans les galaxies… Il faudra toujours que l’une triomphe de l’autre en l’anéantissant.

Moi qui suis un androïde, je ne vais pas me plaindre du triomphe du Cerveau compte tenu du mépris dans lequel les véritables humains nous tiennent… Même les hommes de Dudwal m’ont méprisé en découvrant la supercherie de la Garde Spatiale.

Oui… Même ceux qui sont au service direct du Cerveau et c’est pour cela qu’il a voulu que je reste seul avec lui… Sa curiosité s’éveille car, en un sens, je suis comme lui un être qui n’a pas été fécondé.

Evidemment, je n’ai pas la milliardième partie de ses pouvoirs…, et je suis fragile alors qu’il est indestructible… Dans cette pyramide, rien ne peut l’atteindre… Bien sûr, une bombe nucléaire le détruirait, mais si on bombardait les pyramides, elles créeraient automatiquement des champs de force qui annihileraient le danger.

Aucun anesthésique ne pourrait le gêner, puisqu’il est artificiel… C’est le maître du monde…, et c’est du vrai sang qui coule dans ses artères et dans les milliers de veines qui parcourent la masse de chair informe qui s’entasse dans ce baquet.

Ce baquet, on doit l’agrandir tous les ans car, en se développant toujours plus, le Cerveau a besoin toujours de plus de sang et de plus de chair.

On prend les deux, frais chez des Lorgraniens sélectionnés… Il paraît que Galdar a un sang qui convient… Elle ne quittera plus jamais le continent Nord où on va la préparer à l’honneur qui lui sera fait.

Car c’est un honneur… Les êtres humains ne seront gardés en vie que pour cet honneur-là… Il en faudra régulièrement des multitudes car les cerveaux des Astronefs du Pouvoir grandissent également.

Les hommes esclaves, cheptel de leurs propres créations… Des hommes ou des Dravons…, mais le Cerveau n’aime pas penser aux Dravons, car ils ont été pour lui un échec cuisant… Les mâles sont parfaitement stupides et les femelles uniquement sensuelles…

Si on avait pu leur donner une lueur d’intelligence, ils auraient servi à asservir l’humanité…, à cause des armes dont ils auraient été dotés.

Des désintégrateurs !

Rien ne peut résister aux désintégrateurs… Même pas les pyramides, et c’est leur puissance même qui a interdit de les placer dans n’importe quelles mains…

Un geste maladroit, pas nécessairement hostile, et le Cerveau lui-même aurait pu être frappé…

Ces désintégrateurs existent toujours… Enfin, un certain nombre… Dans une des chambres fortes de la pyramide…, au dernier niveau… A plus de six cents mètres sous terre…, car les pyramides ont des assises qui descendent jusque-là.

Personne ne peut accéder à ces chambres fortes, car il faut emprunter un ascenseur gardé nuit et jour par un Astronef du Pouvoir qui prendrait immédiatement sous son influence mentale l’humain qui s’approcherait de sa cabine.

Une protection sans faille… Pour approcher de cet ascenseur, il faut avoir des pensées pures.

 

 

Nauvéa et Trémali viennent me chercher… Nauvéa m’ordonne de le suivre d’une voix sèche et autoritaire… Il lui suffit de me dire de le suivre, puisque le Cerveau m’a déjà donné ses ordres… Pourquoi emploie-t-il avec moi un ton que je n’estime de mise qu’avec les êtres humains ?

Nous passons dans la coursive, puis nous descendons l’échelle de fer que nous avons gravie tout à l’heure.

— Je t’accompagnerai jusqu’au spatiodrome, m’annonce Nauvéa… Dans un Astronef du Pouvoir… Là, il faudra que tu agisses seul, car il est possible qu’il existe des détecteurs à bord de l’Orion IV.

Pourquoi ne dit-il pas l’Incomparable ? C’est le véritable nom du Rihan et il a dû le lire dans mes pensées.

— Et Barka ?

— On achève de changer son conditionnement… Il va nous rejoindre.

Nous pénétrons dans la salle de l’ordinateur d’un Astronef du Pouvoir… J’aperçois un clavier identique à celui que j’ai vu sur l’autre… Le même écran, le même clavier… Je retrouve aussi l’impression un peu envoûtante d’avoir le cerveau envahi.

C’est le cerveau artificiel de la machine qui prend possession du mien… Puis, j’entends des pas dans la coursive… Barka arrive… Je lui souris et, en même temps, j’ordonne :

— Liquide-les tous les deux.

Pendant que mon associé sort son fulgurant, je me précipite vers le clavier de l’ordinateur sous lequel j’ai repéré un conduit d’énergie…

En même temps, j’ai pris au revers de ma combinaison spatiale une autre aiguille de feu-intense et je l’enfonce avant que le cerveau de l’ordinateur ait compris quoi que ce soit, car mes pensées sont restées pures, pour lui…

Comme celles de Barka… Il y a un bref éclair… Un peu de fumée, et toutes les mémoires visibles de la machine se mettent à tourner dans le vide.